A la fin de l’encyclique « Fratelli tutti » (2019), le pape François énumère quelques-unes des grandes figures qui ont fait résonner au cours de leurs vies l’esprit de François d’Assise pour construire une fraternité bien au-dessus des conflits. Il termine sa lettre apostolique par ce témoignage : « Je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld. Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait à un ami : ‘Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes […]’. Il voulait en définitive être ‘le frère universel’. Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous. Que Dieu inspire ce rêve à chacun d’entre nous. Amen ! » (FT n° 286- 287).

LA GRANDE FAMILLE DES « SAINTS » S’ENRICHIT

Charles de Foucauld entrera dans la grande famille des saints de notre Eglise le 15 mai prochain, à Rome. Né à Strasbourg en 1856, Charles perd ses parents dès l’âge de 6 ans. Dès lors, sa jeune sœur et lui sont accueillis à Nancy par leur grand-père maternel. Il entre dans l’armée et est envoyé au Maroc puis en Algérie. Il y découvre la prière de l’Islam et confiera plus tard avoir été touché par cette relation du musulman avec Dieu. A 23 ans il démissionne de l’armée et décide de parcourir le sud du Maroc en compagnie d’un guide juif. L’entreprise est exigeante et non sans risques dans cette période de colonisation de l’Afrique du Nord. Il démontre au cours des six mois d’une expédition très audacieuse une force de tempérament et des qualités de précisions pour les repères géographiques et culturels qui seront reconnues par la Société d’Etudes Géographiques à Paris. Mais son évolution se poursuit dans les questionnements sur le sens à donner à sa vie. Sa cousine, Marie de Bondy, va alors jouer un rôle important dans le cheminement de Charles. Elle lui fait connaître un jeune abbé parisien, patient et respectueux qui saura écouter le jeune Charles, l’abbé Huvelin, qui invite immédiatement Charles à se confesser. C’est l’instant de sa conversion. Il dira plus tard : « A partir du moment où j’ai su qu’Il existait, j’ai compris que je pourrais vivre que pour Lui ». Nous sommes en décembre 1886. Et dans une lettre datée du 13 juillet 1905, Charles exprimera à son accompagnateur le projet qui l’a animé depuis ce moment : « Être l’ami de tous, bons et mauvais, être le frère universel ».

UN ENGAGEMENT INCONDITIONNEL DERRIÈRE JÉSUS

Dès sa conversion, Charles quitte sa famille pour entrer à l’abbaye Notre Dame des Neiges en Ardèche sous le nom de Marie-Albéric. Il y reste 9 ans puis demande à rejoindre un monastère plus pauvre, en Syrie. Il continue son chemin vers une vie sans cesse plus exigeante et frappe alors à la porte d’un couvent de clarisses à Nazareth où vivra dans la cabane des outils de jardinier. Il restera trois années à Nazareth dans la plus grande humilité qu’il puisse offrir à Jésus:  Jésus devient le modèle absolu de sa vie. Son accompagnateur spirituel, l’abbé Huvelin le modère et l’aide à accepter de devenir prêtre. Après un séjour d’études à Rome, il sera ordonné à Viviers en juin 1901.  

Retrouvant le Maghreb Charles veut apporter l’Evangile à ceux qui sont si loin de la foi. Mais dès ce moment, il sait que la foi en Jésus ne se sépare pas de la charité. Depuis Béni Abbès, le 7 janvier 1902, il écrit à sa cousine Marie de Bondy, dans le vocabulaire de son époque : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres à me regarder comme leur frère, le frère universel. Ils commencent à appeler la maison ‘la Fraternité’ et cela m’est doux ».

Peu à peu, les événements le conduisent jusqu’au sud du Sahara, à Tamanrasset, simple campement de nomades auprès desquels il découvre la richesse de leurs traditions. « Pour pratiquer l’amour de Dieu, pratiquez l’amour des hommes« , écrira-t-il au jeune Louis Massignon en 1916, juste avant sa mort. Il découvre l’exigence du respect profond de l’autre, pour sa personne, sa vie, sa culture, ses racines… Il commence un énorme travail scientifique sur la langue, les chants, la poésie touarègues qui l’occupera de longues heures chaque jour jusqu’à la fin de sa vie.

SOLITUDE ET TRAVAIL

A Tamanrasset, il est le seul européen, en-dehors des heures d’études, il prie fidèlement devant le Saint Sacrement pour se rappeler sans cesse la présence de Jésus au cœur du désert. Il ne cherche plus à convaincre ses hôtes musulmans mais à témoigner de Jésus. Commentant le psaume 81 au cours d’une méditation, il écrit : « nous sommes tous des fils du Très-haut !… Combien nous devons estimer tout être humain, combien nous devons aimer tout humain ! (…) Aimons cet homme que Dieu aime tous les instants de sa vie… Estimons, aimons du fond du cœur tout homme en vue de Dieu, notre Père commun« . Il réfléchit longuement sur l’Incarnation de Jésus se disant que pour rejoindre Jésus dans sa vie parmi les hommes, il s’agit de s’adonner le plus possible à la pratique d’une « charité fraternelle et universelle, partageant jusqu’à la dernière bouchée de pain avec tout pauvre, tout hôte, tout inconnu, et recevant tout humain comme un frère bien-aimé » (Lettre à Henri de Castries, 23 juin 1901).

DES FRUITS … JUSQU’À AUJOURD’HUI

Il est tué le 1er décembre 1916 dans l’ambiance de la guerre de 1914-1918. Cherchant à faire de celui que l’on appelait le « marabout français », un otage à remettre aux autorités italiennes installées en Libye voisine, son trop jeune gardien tire un coup de fusil maladroit sur son prisonnier.

Charles de Foucauld voulait voir naître une famille spirituelle au cours de son engagement au Sahara parmi ses frères de l’Islam. Au lieu de cela, le Seigneur lui prépara plus de 20 ans après sa mort, une grande famille. Héros du romancier René Bazin, le témoignage de « l’ermite du désert » inspira le père René Voillaume, puis la Petite-Sœur Madeleine et d’autres ensuite jusqu’à aujourd’hui. Une grande famille foucauldienne est née et se développe encore aujourd’hui à travers le monde. Elle sera rassemblée et priante le 15 mai prochain.  

L’esprit d’ouverture interreligieuse et fraternelle se poursuit de nos jours au travers des communautés de prêtres, religieux, religieuses et de nombreux laïcs hommes et femmes à travers le monde. Saint Charles de Foucauld est bien l’un des témoins de la fraternité universelle, nécessité tant désirée par le pape, si importante à vivre aujourd’hui pour demain.

Texte rédigé le père Bertrand Gournay, diocèse de Gap et Embrun, membre de la fraternité sacerdotale Jésus-Caritas.

Vous pouvez regarder la canonisation de Charles de Foucauld en direct : Sainte messe et canonisation des bienheureux à Rome — KTOTV