Il y a juste 100 ans, l’Eglise Catholique en France se structurait de façon nouvelle au cœur de la 3ème République Française, dans un contexte politique mouvementé. C’est l’avènement des « Associations diocésaines » qui vont devenir le cadre juridique des diocèses au regard du droit français.

« Nous semblons tous très jeunes au regard de cette vieille dame qui nous précède en âge : l’Eglise certes, mais aussi « l’Association Diocésaine de Gap ».

Ce 29 avril 2024, cette Association, véritable support de la vie de l’Eglise Catholique dans le département, fête ses 100 ans de bons et loyaux services auprès de la population Haut-Alpine, mais aussi comme interface avec la société civile dans le respect des lois en particulier la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.

Monseigneur Xavier Malle a souhaité que nous marquions sobrement cet anniversaire par l’ajout d’une intention lors de la messe qu’il présidera, célébrée pour tous les donateurs et testateurs du diocèse lundi 29 avril à 18h00 en l’église des Cordeliers à Gap.

Homélie de la messe du 29 avril, par Mgr Xavier Malle

Nous souhaitons profiter de cet évènement pour faire connaître aux  diocésains la réalité de cette structure – sans doute peu connue et pourtant essentielle au fonctionnement de l’Eglise en France. Belle découverte ! »

Père Jean-Michel Bardet, vicaire général

Contexte historique français avant 1924

Après l’apaisement du concordat Napoléonien de 1801, réglant les relations entre la France et l’Église catholique et mettant fin aux persécutions religieuses de la Révolution française, les tensions anticléricales renaissent dans les débuts de la IIIRépublique après la défaite française de 1870.

Si aujourd’hui l’application de la loi de 1905 est jugée satisfaisante par tout le monde, il faut se rendre compte du traumatisme provoqué pour l’Église catholique par une succession de lois qui la visait directement.

Ainsi en 1880, les Jésuites et d’autres congrégations principalement masculines non autorisées sont expulsés par une volonté de soustraire l’enseignement à l’influence des congrégations. Le gouvernement décide de laïciser également une partie de l’espace public. Des lois de 1881 et 1884 tentent d’interdire dans les cimetières communaux une séparation à raison de la différence des cultes.

L’affaire Dreyfus (1894-1906) eut pour conséquence de constituer en France deux blocs antagonistes, le parti clérical et le parti radical.

Au début du 20ème si ècle, une seconde vague de lois visa les congrégations religieuses. Ainsi la célèbre loi sur les associations en 1901 a obligé les instituts religieux à demander une autorisation, qui fut la plupart du temps refusée et des centaines d’établissements religieux furent fermés par décret en 1902 et 1903.

En 1902, Émile Combes présente un projet très radical de séparation des Églises et de l’État mais son ministère tombe en 1904 en raison du scandale du fichage des officiers catholiques dans l’armée.

C’est finalement le projet présenté par le député socialiste Aristide Briand, plus modéré, qui sera adopté par le Parlement en 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’État, qui met fin au concordat de 1801.

La loi contient trois mesures majeures concernant l’Église Catholique :

  • Les ministres des cultes ne sont plus rémunérés par l’État et celui-ci se désintéresse totalement de leur nomination ; ce qui a redonné une autonomie à l’Église de France et un retour à l’influence pontificale.
  • Les biens détenus précédemment par les Églises deviennent la propriété de l’État mais les bâtiments églises sont affectés gratuitement au culte.
  • Les cultes doivent devenir des « associations cultuelles ».

Le Saint Siège demande aux diocèses français de ne pas créer les « associations cultuelles » car leurs présidents seraient alors élus, alors que les évêques sont nommés par le Pape.

A la suite de ce refus, il a fallu trouver des solutions juridiques. La loi du 2 janvier 1907 remettra les églises aux communes (et une cathédrale par département à l’Etat) et d’autres biens de l’Église à des institutions publiques. C’est ainsi que le diocèse de Gap a perdu l’évêché historique (sur l’emplacement de l’actuel Conseil Départemental place de la Cathédrale à Gap).

La Grande Guerre permettra un apaisement ; ceux qui croyaient en Dieu et ceux qui n’y croyaient pas vivant ensemble l’horreur des tranchées. En 1920 le gouvernement envoie un émissaire à Rome afin d’entamer les négociations pour trouver un statut à l’Église de France. Cette reprise du dialogue aboutira à un échange de lettres entre le président du Conseil Raymond Poincaré et le nonce à Paris, Mgr Bonaventura Cerretti. Les accords « Poincaré-Cerretti », en 1923-1924, mettent en place les associations diocésaines. L’Église a maintenant un cadre juridique et une reconnaissance tout en respectant la loi de 1905.

Contexte épiscopal gapençais avant 1924

Après le court épiscopat de Mgr Jean-Alphonse BLANCHET, mort en 1888 quelques mois après sa nomination, Mgr Prosper-Amable BERTHET, né à la Grave dans le diocèse, sera évêque de Gap de 1889 à 1914. Après avoir suivi l’enseignement du petit séminaire d’Embrun, il est ordonné prêtre en 1861. Après avoir servi ses prédécesseurs, il est ordonné évêque de Gap en 1889. En 1895 il consacra la nouvelle cathédrale de Gap, en remplacement de la précédente qui menaçait ruine. Lors de son épiscopat, la basilique de Notre-Dame-du-Laus obtint de Rome le titre de basilique mineure.

Mgr Gabriel DE LLOBET, prêtre du diocèse de Perpignan, lui succéda en 1915. Pendant la Première Guerre Mondiale, il est l’un des deux évêques français (avec Mgr Ruch, évêque de Nancy) assez jeunes pour être mobilisés, dans le service auxiliaire (service de santé). Appelé au front en 1916, il gère son diocèse par courrier et profite des permissions. Démobilisé́ en janvier 1919, il rentre dans son diocèse, qu’il quitte pour Avignon six ans plus tard.

Après la guerre, il prit pleinement ses fonctions. Ses années gapençaises seront surtout marquées par la construction, ralentie par la Grande Guerre, et l’inauguration en 1924 du petit séminaire dont la première pierre avait été́ posée par son prédécesseur dix ans plus tôt.

En 1924, il crée l’association diocésaine de Gap. 

En 1925 Mgr Jules-Géraud SALIEGE lui succède jusqu’en 1928 où il deviendra archevêque de Toulouse et cardinal en 1946. « Compagnon de la Libération » et « juste parmi les nations », il est l’auteur à Toulouse de la lettre d’août 1942 s’élevant contre la déportation des juifs de France.

Morceaux choisis issus des Procès-Verbaux des Assemblées Générales annuelles de 1925 et 1926

« Année 1925 – Assemblée générale annuelle

[…]

Il y a un an passé, au lendemain des solennités pascales, sur la convocation de notre Évêque vénéré, nous nous réunissons ici-même et dans un sentiment d’obéissance au Souverain Pontife nous arrêtions les statuts de notre association diocésaine, faisant nôtre la formule type qui nous avait été communiquée et dans laquelle, de l’avis des légistes, se trouvaient mise en harmonie les deux législations civiles et ecclésiastique. L’association diocésaine constituait pour nous un moyen légal de posséder ; les discussions, les hésitations, les plaidoyers pour ou contre cette institution n’avaient échappé à personne, et s’il vous en souvient, Messieurs, il ne fallut rien moins que le devoir formellement exprimé à Rome pour vaincre certaines oppositions.  Dans un exposé complet, fait de la plus abondante documentation, Monseigneur nous avait dit tout l’historique des associations, nous en avait exposé les avantages, toutefois il concluait que son intention en fondant une association diocésaine n’était pas de la mettre en plein fonctionnement dès le jour même, mais bien seulement d’avoir à notre disposition un organisme apte à fonctionner lorsque des précisions promises nous seraient données, lorsque des diocèses plus importants que le nôtre nous auraient pratiquement montré le chemin. En somme, nous avons eu la coquetterie d’être les premiers à répondre au désir du Pape, puis bien volontiers nous avons pris dans le domaine pratique la petite place qui nous revient.

Que vous dire après un an sur le fonctionnement de notre association ? Au point de vue des membres qui la composent, rien de particulier à signaler. Tous les membres fondateurs sont encore des nôtres : c’est du moins ce que nous pouvons dire aujourd’hui, que pour quelques jours Mgr de Llobet se retrouve dans le diocèse de Gap. Au point de vue activités ? Lorsque vous est parvenue la convocation à cette assemblée n’avez-vous pas été tentés, Messieurs, de faire le procès de cette association paresseuse qui n’a su faire autre chose que de vous demander et votre signature et votre cotisation ? Le compte rendu, très sommaire qui vous a été donné de la situation financière vous y autorise encore plus, maintenant que vous connaissez à quels chiffes minimes se sont élevées nos affaires. Il y a à cela une explication, j’ai mission de vous la faire connaître.

Et tout d’abord, Messieurs, disons que les formalités de constitution de l’association, dépôt de pièces à la préfecture, ont été assez vite et assez facilement remplies grâce aux démarches que Mgr l’Évêques a pris la peine de faire lui-même à titre de président de droit. La nouveauté de la chose a bien motivé une petite hésitation de la part des bureaux intéressés qui ont voulu étudier le cas, et l’ont fait du reste dans la plus grande bienveillance. Un récépissé, en date du 29 Avril, constate le dépôt des pièces à la Préfecture et par nos soins, l’officiel du 4 mai a publié la constitution de notre association, nous avons fait tenir un exemplaire de ce journal à Monsieur le Préfet des Hautes-Alpes.

Les statuts prévoient une réunion mensuelle du Conseil d’Administration. Le registre des comptes rendus, que voici, que chacun de vous pourra consulter, fait foi de la régularité avec laquelle ces réunions sont tenues. If fait foi aussi du désir que nous avons eu de pouvoir utiliser l’association pour l’acquisition de certains immeubles. Mais nous n’avons pas au devoir accepter la cession qui nous a été proposée. Et cela, parce que les précisions promises sur ce chapitre ne sont pas venues, et que des conservations qu’il y a eues avec des évêques et en particulier avec le Nonce apostolique, Monseigneur en a rapporté très nette la consigne d’une prudente expectative. Les événements, du point de vue politique, la conseillent très fort. C’est là, Messieurs, l’explication de cette mise en sommeil, que le silence gardé autour de notre groupement depuis sa formation vous avait déjà permis de soupçonner. L’organisme n’est pas mort, il reste à notre disposition et vous pourrez compter que rien ne sera négligé de la part du bureau au point de vue légal et statutaire pour lui maintenir toute sa force et sa capacité d’agir : l’assemblée de ce jour lui était nécessaire pour vivre : encore qu’elle soit sous l’utilité pratique immédiate, n’avons-nous pas voulu la négliger. Merci, Messieurs, de vous être imposé la peine d’un dérangement pour y venir écouter ce compte rendu bien modeste d’une année de vie sans éclat.

[…]

Gap, le 6 juin 1925. »

« Année 1925 – Assemblée générale annuelle

[…]

Il [Monseigneur de Llobet] alors sa satisfaction d’avoir réunis autour de lui les membres fondateurs de l’association diocésaine, heureux de retrouver dans cet organisme qui est appelé à jouer un rôle dans l’administration des biens du diocèse, ceux-là même qui par leurs dignités ou leurs fonctions ; chapitre cathédral, curés des principales paroisses, supérieurs d’établissements scolaires ; sont canoniquement ses auxiliaires.

[…]

Messieurs : les Associations diocésaines sont, vous le savez, l’organisme légal et canonique que le gouvernement français après entente avec Rome a donné à l’Église de France pour lui permettre de posséder légalement, non pas toute sorte de biens, mais quelques biens indispensables à sa vie, et dans des conditions déterminées. Au cours de cette année des instructions bien précises ont été données du côté de Rome pour que non seulement les associations diocésaines soient constituées, mais encore pour qu’elles fonctionnement effectivement. De son côté, le gouvernement français faisait voter dans la loi des finances du 29 avril 1926 l’article 112 par lequel est réglée l’attribution aux associations diocésaines des biens affectés à l’usage public du culte. L’exemption de droits de transmission de ces lieux aux diocésaines accordée pour l’exercice courant vont de l’avis des jurisconsultes jusqu’en avril 1927.

Le secrétariat de l’Évêché, dans une enquête auprès de Messieurs les curés, a recueilli les renseignements sur les biens cultuels qui sont propriété privée (individuelle ou collective) ; par des notes publiées dans la quinzaine religieuse la question a été portée à l’attention de Messieurs les Curés, Monseigneur l’Évêque en a parlé longuement à la retraite ecclésiastique et le moment paraît venu, après conseil pris auprès de personnalités compétentes, de bénéficier de ces dispositions légales. C’est pourquoi le Conseil d’Administration a inscrit à l’ordre du jour la question « Apports immobiliers ». Son action se portera uniquement sur les édifices cultuels : presbytères, églises ou chapelles, salles d’instruction religieuse. Le nombre n’en est pas considérable dans le diocèse. Très prochainement, avec votre approbation, que vous ne refuserez pas, Messieurs, nous le pensons du moins MM. Le secrétaire de l’Évêché et votre serviteur feront les démarches auprès des propriétaires légaux de ces immeubles et leur indiqueront la marche à suivre pour en faire l’attribution à la diocésaine, s’ils le désirent.

[…]

Gap, le 6 novembre 1926. »